:: Sue et les autres ::

.: Sue et les hommes

- Son opposition au mariage

En tant que femme libérée, Sue s'élève violemment contre l'institution du mariage qu'elle voit comme une autorisation, voire une obligation d'aimer, uniquement liée à un bout de papier et qui ne devrait pas avoir lieu d'être.

Elément indissociable du mariage, la relation sexuelle est également un acte que redoute Sue. Il y a eu de nombreuses discussions sur ce sujet qui se posaient la question du désir et du plaisir de Sue, et aucune conclusion, positive ou négative n'a vu le jour.
Après avoir longtemps "résisté", Sue se donne finalement à Jude avant tout pour ne pas le perdre et pour qu'il ne s'en retourne pas vers Arabella, sa femme légitime.
Thomas Hardy s'exprime ainsi sur le sujet :
"… bien qu'elle ait des enfants, ses moments d'intimité avec Jude n'ont jamais été plus qu'occasionnels pendant tout le temps qu'ils ont vécus ensemble (je mentionne d'ailleurs qu'ils occupent des chambres séparées, sauf vers la fin.)".

Ce rapport de Sue à la sexualité sert à contrebalancer l'image qu'elle donne par rapport à celle donnée par Arabella. En effet comme souvent chez Hardy (avec Bathsheba et Fanny, Thomasin et Eustacia, Lucetta et Elizabeth-Jane, et ici Arrabella et Sue), on trouve dans Jude l'Obscur deux héroïnes opposées, l'une répondant à ses pulsions et à son instinct, tandis que l'autre, souvent plus accomplie intellectuellement, est beaucoup plus chaste.

Dans le film de Winterbottom, on ne peut ignorer la symbolique liée à la relation sexuelle. On remarque que la pratique du sexe trouve en général une punition. Tout d'abord, comme dans le livre, Jude épouse Arabella parce qu'elle dit être enceinte, ce qui n'est pas le cas mais cela n'empêchera pas Arabella de le hanter le reste de sa vie ; plus tard on assiste à un des accouchements de Sue, filmé comme rarement sont filmées les naissances, dans la douleur et dans le sang. Comme s'il fallait que Sue paye pour sa conduite.
Dans son cas, Sue a donc raison de craindre le sexe puisque c'est lui qui est à l'origine de ses malheurs, entre Arabella, l'ex-femme de Jude, et le fils qu'Arabella et Jude ont finalement eu, qui tue à la fin les enfants de Jude et Sue parce qu'ils sont trop nombreux et qu'il est difficile de trouver à se loger.
Cette peur du sexe apparaît ainsi comme également une des raisons pour lesquelles Sue se positionne contre le mariage. Cela normaliserait la relation sexuelle, alors que Sue relève beaucoup plus des idées de l'Anglaise Mary Wollstonecraft qui affirme dans un pamphlet au ton révolutionnaire, Revendication des droits de la femme, que l'amitié intellectuelle est l'idéal du mariage. Elle y plaide en faveur d'une éducation et d'une liberté égales pour les hommes et pour les femmesA Vindication of the Rights of Woman, de Mary Wollstonecraft, 1792.
Pour Millgate, cette difficulté à assumer sa sexualité se trouve déjà dans le nom même de Sue : Bridehead, composé de bride (mariée) et de head (tête), ainsi pour lui, chez Sue, la "mariée" est fatalement inhibée par la "tête"The Life and Work of Thomas Hardy, de  Michael Millgate, London : Macmillan, 1984.

- Sue parmi les hommes

Comme on l'a vu précédemment, Sue présente fréquemment des attitudes habituellement réservées aux hommes.
Lorsque Sue est directement confrontée à un milieu masculin on la considère souvent comme un garçon manqué dans ses manières et dans sa façon se suivre les hommes dans ce qu'ils entreprennent. En tant que camarade, Sue présente une "curieuse indifférence du sexe de ses compagnons" et se fond dans le groupe "presque comme si elle était de leur propre sexe"Hardy and the Erotic , de T.R. Wright, St. Martin's Press, New York, 1989.
Cela se retrouve dans le film en particulier dans les scènes de bar, mais également dans les conversations que Sue peut avoir avec les collègues sculpteurs de Jude.

- Sue et Jude : deux grands enfants ?

A plusieurs reprises, aussi bien dans le film que dans le livre, Sue peut apparaître comme étant encore, au moins en partie, une enfant, à cause principalement de sa peur des rapports physiques.
Mais Jude est également parfois assimilé au monde de l'enfance, très tôt dans le livre on a accès à ses pensées "Si seulement il pouvait s'empêcher de grandir ! Il voulait ne jamais devenir un homme"Jude l'Obscur, première partie, chapitre 2.
C'est ainsi que lorsque Arabella rencontre le couple pour la première fois elle les voit comme "des idiots - pire que deux enfants".

Dans son film, Michael Winterbottom met particulièrement en avant cet aspect du couple dans la première partie heureuse de leur relation, alors qu'ils n'ont pas encore consommé leur amour. On les voit ainsi chahuter, se courir après, s'attraper, jouer avec des algues sur la plage dans une séquence qui fait forcément penser à La Leçon de Piano dans sa mise en scène (d'ailleurs cette partie du film a également été tournée en Nouvelle-Zélande).
Malgré toute la liberté qu'ils pensent avoir acquis, Jude et Sue sont pourtant inconsciemment gênés dans leur relation par leur consanguinité, ces jeux apparemment enfantins sur lesquels Winterbottom insiste sont donc en fait de véritables prétextes à toucher l'autre, le prendre dans ses bras… sans que cela soit "mal" puisque ce ne sont que des jeux !

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