.: Sue, la New Woman

- L'idée de la New Woman

La New Woman est dans l'histoire de la littérature tout à fait opposée au type d'héroïne qui l'a précédée au début du XIXème siècle ; à cette période les femmes décrites dans les romans ressemblaient surtout aux héroines de Jane AustenVoir Raison et Sentiment ou les Deux Manières d'aimer (1811), Orgueil et Préjugés (1813), ou encore Emma (1816), en quête de bon parti, et en proie à divers démêlés sentimentaux, la réussite suprême résultant dans le mariage.

A l'époque de la naissance de Thomas Hardy (1840) le sujet du vote des femmes était au mieux un problème marginal. Cinquante ans plus tard, le concept littéraire de la New Woman, instruite, libérée dans sa pensée et dans ses actes, est monnaie fréquenteComme le montre Timothy Hands dans son ouvrage Thomas Hardy paru en 1995..


Un des symboles de cette émancipation et de cette liberté se retrouve en la pratique du vélo, nécessairement utilisé de la même façon par les hommes et par les femmes (rappelons-nous le bon usage qui voulait que les femmes montent à cheval en amazone), et qui autorise la femme qui en dispose à une plus grande liberté dans ses déplacements. On peut observer cette symbolique dans Jude, dans une scène de l'époque heureuse et insouciante entre Jude et Sue, où se dessine déjà l'inversion du "rapport de force" dans le couple, Jude y apparaissant le plus faible puisque c'est lui qui a des problèmes à pédaler et doit mettre pied à terre.

Dans ses romans, Hardy développe donc des idées qui sont à l'opposé de la norme de l'ère Victorienne. Il imagine des idéaux de changements sociaux et centre chacun de ses romans sur un personnage féminin fort et indépendant qui présente souvent des caractéristiques masculines. Il dépeint des héroïnes au tempérament fort plutôt que des héroïnes passives, et leur donne ainsi la possibilité d'aller au bout de leurs objectifs… jusqu'à un certain point…
Car aussi modernes qu'elles puissent paraître, ces "nouvelles femmes" de la littérature de l'époque suivent toutes la même destinée, à savoir la dépression, la prostration et le repli vers une pratique stricte de la religion. Dans Le Retour au pays natal (The Return of the Native) que Thomas Hardy a écrit en 1878, fait ainsi dire à son héroïne Eustacia à bout de forces : "Est-ce trop désirer que de vouloir ce que l'on appelle la vie ?".
Comme on le verra plus tard, Sue n'échappe pas à la règle.

- L'image de la masculinité chez Sue

Sans que ce soit absolument nécessaire, la New Woman s'approprie souvent des éléments de l'univers masculin pour s'affirmer en tant que femme et ainsi désacraliser à la fois l'image de l'homme tout puissant et celle de la femme idéalisée par les hommes.

Comme beaucoup d'héroïnes de Thomas Hardy, Sue présente donc à plusieurs reprises des aspects habituellement déclinés au masculin. Tout comme Eustacia, il arrive à Sue de littéralement "porter" la culotte lorsqu'elle se retrouve chez Jude et a besoin de vêtements de rechanges. Cette symbolique n'est pas anodine puisqu'elle met en avant l'inversion des rôles dans les couples créés par Hardy. La femme n'est plus la victime de l'homme ; au contraire l'homme devient-il la victime consentante de la femme, ce qui leur permet d'explorer la complexité de leurs propres sentiments ; mais la société n'accepte pas que les hommes fassent démonstration de leurs émotions : "Si Jude avait été une femme, il aurait pleuré sous la pression qu'il subissait. Mais c'eût été aller contre sa virilité, il serra les dents en silence"Jude l'Obscur, chapitre II .

Ces aspects sont conservés, et même accentués par Michael Winterbottom dans son film puisqu'on y voit Sue habillée en homme, mais également fumant régulièrement, et fréquentant des cafés remplis d'étudiants et d'ouvriers où elle se sent parfaitement a l'aise. Au-delà des actes, il y restitue cette attitude "masculine" dans certains dialogues où la "supériorité" de la femme dans ce couple en devenir ne fait pas de doute.

Dans cette scène, Sue, alors étudiante, se réfugie chez Jude pour la nuit - en tout bien tout honneur - ; elle vient juste d'échanger ses vêtements trempés pour des habits de Jude :

" Sue: Why are you looking at me like that?
Jude: Does it scare you?
Sue: No. I am not afraid of any man.
Jude: Why?
Sue: Because no man would touch a woman unless she gives him reason to. A touch or a look that say come on. If you never look, they'll never come. You are the timid sex. "

Ce dialogue écrit pour le film restitue l'idée de la New Woman qui dit et fait ce qu'elle pense, sans entrave. Il est évident que l'on voit difficilement une héroïne de Jane Austen donner une telle réplique à son prétendant.

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