:: Le poids de la destinée ::

- Hardy et la fatalité

La conception du monde de Hardy est celle d'un univers marqué par une sombre fatalité, où la chance peut infléchir l'inéluctable nécessité qui gouverne les êtres, mais où la volonté humaine se heurte immanquablement à l'inexorabilité des destins. Le Wessex, lieu imaginaire auquel des descriptions intenses dépeignant la beauté sauvage de la lande, des forêts et des champs donnent une vie singulière, joue un rôle essentiel dans les romans de Hardy en tant que miroir des sentiments et de la fortune - bonne ou mauvaise - des personnages.

- Le couple maudit

Le couple formé par Sue et Jude est un exemple typique du couple maudit.
Déjà leurs parents respectifs n'étaient pas faits pour le mariage puisque chacun de ces couples a divorcé, ce qui fait la grand-tante de Jude le mettre en garde contre le mariage dès celui avec Arabella.

Sue et Jude sont donc présentés comme souffrant d'une incompatibilité congénitale avec le mariage. En effet, leurs mariages respectifs, Sue avec le maître d'école Phillotson, et Jude avec Arabella, échouent. Ils entrent alors dans un nouveau schéma de couple maudit. En effet ils sont cousins issus de germain, ce qui pourrait encore passer, mais ils décident de vivre ensemble hors de ce mariage qui ne réussit pas à leur famille… ce qui n'est pas du tout accepté à l'époque.
Pourtant Sue et Jude essaient de se bâtir dans ce modèle qui leur est propre, mais quoiqu'ils fassent, ils sont voués à une seule et unique destinée, et tels des héros de tragédie grecque, ils apprennent à leurs dépends qu'il ne fait pas bon aller contre la volonté des dieux et faire ainsi preuve d'ubris.

- Le poids de la religion et la rémission de Sue face à elle et face à la destinée

Comme la plupart des New Women, Sue ne parvient pas à réussir sa vie avec son état d'esprit de femme moderne, la mort de ses enfants étant le déclenchant de sa chute. Elle passe ainsi d'un extrême à l'autre et se plonge dans une foi aveugle et exagérée pour tenter de rattraper ce qu'elle pense être ses péchés.

" Je vois le mariage différemment maintenant. Mes bébés m'ont été enlevés dans ce but ! L'enfant d'Arabella tuant les miens, c'était un jugement : le bien tuant le mal. Que pourrais-je donc faire ? Je suis une vile créature - trop indigne pour vivre avec les êtres ordinaires !"

- La symbolique des couleurs dans le film

Michael Winterbottom a su exploiter les couleurs décrites dans le roman pour en faire un élément très significatif.

Le film s'ouvre et se ferme sur du noir et blanc, entre les deux, les palettes de couleurs suivent et parfois précédent la situation du couple. Ces couleurs sont le plus fréquemment directement portées par Sue, à travers ses diverses robes.

Les périodes de bonheur sont ainsi ponctuées de robes blanches, roses, rouges ou jaunes. Puis, avec les soucis et les difficultés de la vie, les tons deviennent de plus en plus ternes, à l'image de la ville universitaire de Christminster que Sue décrit ainsi dès le début :

Jude : Où va-t-on ?
Sue : Loin de cet endroit sinistre.
Jude : C'est beau ici…
Sue : Ce ne sont que des pierres.
Jude : Vous parlez mes maisons, moi des étudiants.
Sue : Moi aussi je parlais d'eux

Les couleurs des images filmées par Eduardo Serra, le directeur de la photo, sont en fait un indicateur du bonheur et de l'espoir.
Dès lors que Sue s'éloigne de Jude, emportée par une piété masochiste, son existence chromatique s'atténue dans la blancheur grise de la conclusion.

Ainsi, si le film s'ouvre sur une séquence en noir et blanc présentant Jude enfant, ce n'est pas spécialement pour exprimer l'antériorité sur un système bien simpliste "avant le cinéma était en noir et blanc, donc ce qui se passe "avant" est en noir et blanc"… non, dans ce film, la couleur est la marque de la vie, de l'espoir… comme on peut le voir par exemple dans Eureka de Shinji Aoyama. En l'occurrence, Sue est la lumière qui met et ôte la couleur de la vie de Jude.

Pour Pierre Murat, "leur destin se joue en deux séquences. Dans la première, Jude suit une femme vêtue de blanc qu'il s'apprête à aimer. Elle marche, joyeuse et gaie dans les rues de cette ville, symbole pour Jude de ce savoir qu'il cherche à maîtriser. Dans la seconde, quelques années plus tard, il suit la même silhouette, vêtue de noir cette fois, qui porte le deuil de tous les espoirs déçus, de tous les rêves évanouis."Pierre Murat, Télérama 2446 du 27 novembre 1996

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