:: Sue et son époque ::

.: La femme de l'ère Victorienne

C'est la Reine Victoria (1819-1901) qui donna son nom à la période dite "victorienne" représentant le plus long règne d'un souverain sur l'Angleterre (1837-1901). Cette période se caractérise principalement par la montée d'une classe bourgeoise, une société marquée par un sens moral profondément conservateur et un nationalisme intense.

- La Société traditionnelle

Dans la société victorienne, le rôle de la femme est traditionnellement limité à un rôle purement reproducteur et domestique. Ainsi, dans The Princess, Alfred Lord Tennyson décrit-il la condition féminine en 1847 à travers la bouche du père du Prince :

"Man for the field and woman for the hearth ;
Man for the sword, and for the needle she."-L'homme sur le terrain et la femme au foyer ; / Une épée pour lui, une aiguille pour elle.- Alfred Lord Tennyson, La Princesse, 1847

Même les plus avant-gardistes, comme Havelock Ellis (1859-1939) psychologue et admirateur de Thomas Hardy de la première heure, ne peuvent se résoudre à accorder une véritable identité à la femme. Au mieux est-elle comparée à un enfant ; c'est ce que Havelock Ellis met en avant dans Studies in the Psychology of Sex ("Études sur la psychologie des rapports sexuels", 1897-1910) :

"La Nature a fait les femmes semblables à des enfants pour qu'elles puissent ainsi mieux comprendre les enfants, et mieux s'occuper d'eux" . Havelock Ellis cité par David Rubinstein dans Before the Suffragettes, Brighton, 1986.

- Les débuts du féminisme en Grande-Bretagne

C'est en réaction au conservationnisme de l'époque que se créent les premiers mouvements féministes en Grande-Bretagne. Les féministes britanniques tiennent leur première convention en 1855, avec pour seule revendication le droit à la propriété. La publication de l'ouvrage De l'assujettissement des femmes par le philosophe britannique John Stuart Mill en 1869 contribue au progrès de la cause féministe, même s'il ne suffit pas à convertir une opinion publique qui reste fort réticente à l'émancipation féminine.

Juste après le droit à la propriété, les femmes réclament l'obtention du droit de vote et d'éligibilité. En Grande-Bretagne, c'est la Ligue du Droit de Vote des Femmes (Women's Franchise League, créée en 1889), puis l'Union Féminine Sociale et Politique d'Emmeline Pankhurst (Women's Social and Political Union, WSPU, créée en 1903) qui mènent ce combat avec des "armées" de suffragettes, et se heurtent à l'opposition de la Reine Victoria, qui malgré (ou à cause de ?) sa propre condition féminine et sa haute situation s'oppose à ces associations militantes. Après de petites avancées comme l'obtention du droit de suffrage aux élections locales, les femmes britanniques se voient accorder le droit de vote en 1928 (il faudra attendre 1944 en France, et 1971 en Suisse).

- La vision de Thomas Hardy

Dans sa jeunesse, Thomas Hardy a été très influencés par des contemporains libre-penseurs tels que le naturaliste Charles Darwin (1809-1882)Thomas Hardy aimait à  se dire l'un des premiers lecteurs de De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle de Darwin, en 1859. et le philosophe John Stuart Mill (1806-1873 - De l'assujettissement des femmes). Hardy utilisa donc beaucoup d'idées de ses maîtres-à-penser dans ses romans afin de parvenir à décrire un monde le plus réel possible.

Si c'est l'absence de foi en Dieu qui donne à ses romans leur atmosphère tragique unique, dans l'Angleterre victorienne, Hardy passe avant tout pour un impie aux audaces choquantes, surtout avec Jude l'Obscur qui fait scandale en représentant le désir comme une force dont la violence parvient à triompher de la volonté humaine et de la morale.
A l'époque, les romans sont en général publiés sous forme de feuilletons dans les magazines. Il va sans dire que les éditeurs n'hésitaient alors pas à modifier les textes pour les faire correspondre d'avantage aux convenances et aux attentes des lecteurs. C'est pourquoi après avoir eu énormément de mal à publier dans les meilleures conditions possibles Tess d'Uberville en 1891 et Jude l'Obscur en 1895, et après avoir travaillé avec quatre éditeurs différents en à peine dix ans, Thomas Hardy cessa son activité de romancier pour concentrer ses efforts sur l'écriture de poèmes où il pouvait s'exprimer pleinement, sans restriction.

sue, la new woman >>